2016
Le 6 octobre 2016 s’est tenu le premier colloque sur « l’économie du fleuve ». Tout au long de la journée, les intervenants se sont relayés pour débattre et apporter leur expertise sur le développement économique et touristique de la Seine. Alors que le flux de marchandises ne cesse de croître dans le monde, que les ports du range Nord de l’Europe prévoient une hausse importante de leur trafic dans les années à venir, que le projet du canal Seine-Nord prend chaque jour davantage de consistance, que le tourisme fluvial se développe, la Seine doit s’adapter. Car si la Seine possède des atouts évidents, elle n’est pas encore devenue un axe de transport incontournable. Cette route naturelle qui relie la Manche au bassin parisien est sous-exploitée.
Retrouvez en cliquant sur les liens ci-dessous le communiqué de presse et la synthèse du communiqué de presse du colloque « l’économie du fleuve » qui s’est déroulé le 6 Octobre 2016.
Communiqué de presse > cp_colloque_leconomie-du-fleuve_6oct2016
Synthèse du colloque > synthese-du-colloque_leconomie-du-fleuve_6-oct-2016
La Seine est le « premier bassin fluvial national. Portée par le premier complexe portuaire français, la capacité prospective de son trafic est quatre fois supérieure à son niveau actuel », analysait ainsi Alain Verna, PDG de Toshiba Europe et Président de Logistique Seine Normandie (LSN) au début du colloque. Didier Léandri, Président du comité des armateurs fluviaux partageait ce constat : « Après une période de restructuration profonde du secteur fluvial depuis une quinzaine d’années, notre offre de transport a considérablement progressé. La productivité du transport fluvial a gagné 25% en six ou sept ans. Aujourd’hui donc, l’offre est disponible et d’excellente qualité, mais reste sousutilisée. »
LES DEFIS A RELEVER
• Le développement des infrastructures
L’accélération du développement du transport fluvial passe par l’amélioration de ses infrastructures. Ainsi, comme le détaillait le préfet François Philizot, Délégué interministériel au Développement de la vallée de la Seine, « Nous sommes entrés dans une phase de mise en oeuvre, les projets démarrent. Le contrat de plan prévoit le démarrage des études économiques préalables à la réalisation de la chatière du Havre, qui permettra aux barges fluviales d’accéder aux terminaux de Port 2000 avant la fin de la décennie. La même date est envisagée pour la rénovation des écluses de Méricourt (Yvelines). Cette réalisation est même anticipée par rapport à ce qui était envisagé. De même, le financement de la rénovation des écluses de Tancarville sera bientôt sécurisé. L’objectif de cette politique n’a pas changé : il est de mettre à niveau notre système fluvial avant la livraison probable du canal Seine-Nord. » Pour Antoine Berbain, Directeur général délégué d’Haropa, « l’économie fluviale doit s’appuyer sur un réseau de ports étendu et diversifié, comme l’est notre système portuaire. Celui-ci s’étend sur la Normandie et l’Île-de-France, mais aussi au-delà, jusqu’aux régions Hauts de France, Grand-Est et Bourgogne-Franche-Comté. Il faut désormais pérenniser et développer ces infrastructures, en construisant notamment des quais aux endroits stratégiques. Nous portons ainsi le projet Seine Métropole Ouest situé à la confluence de la Seine et de l’Oise. Les travaux de cette plateforme multimodale de 100 hectares débuteront en 2019 ou 2020. »
• La compétitivité
En plus des infrastructures, le transport fluvial doit s’attacher à gagner en compétitivité. « Si le transport fluvial apparaît comme peu avantageux, économiquement, il ne sera pas utilisé, peu importe la qualité de ses infrastructures. », reconnaissait Didier Léandri. Pour ce faire, la massification des flux est apparue comme un facteur essentiel. « Nous devons construire un système à l’échelle européenne avec des opérateurs logistiques travaillant sur la chaîne complète. C’est ce qui existe déjà sur le Rhin. Des centaines de bateaux y circulent, ils appartiennent souvent à des opérateurs qui détiennent également des silos par exemple. Cet intégrateur permettrait d’aller au-delà de notre hinterland historique » a détaillé Antoine Berbain. Afin de mieux appréhender les limites du transport fluvial, le colloque n’a pas hésité à inviter des acteurs régionaux économiques importants qui, malgré leur proximité avec la Seine, n’utilisent pas, ou peu, le fleuve. C’est le cas de Lubrizol, l’entreprise de chimie implantée à Rouen et au Havre. « Je vois la Seine depuis mon bureau et pourtant nous ne l’utilisons pas. Plusieurs études ont démontré que les investissements que nous devrions consentir pour transporter nos produits par la Seine ne pourraient pas être rentabilisés. Aussi, nous sommes contraints d’utiliser les camions ». Chez Bolloré Logistics la Seine reste également largement inexploitée, comme l’explique Laurent Foloppe, le directeur du Havre : . Pourtant, nous ne l’utilisons que peu. Le transport par barge ne représente en effet que 3% à 4% de notre flux. C’est d’autant plus paradoxal que Le Havre possède une grosse activité import et Rouen une grosse activité export. Le fleuve reste un élément important si bien que pour chacun de nos clients, nous chiffrons systématiquement deux scénarios : le transport routier et le transport fluvial. Certaines solutions permettent de gagner 50 euros par containers en utilisant le fleuve. Malgré tout, les clients ne retiennent pas cette solution et nous disent qu’ils ne veulent pas perdre trois jours de transit time. Ce problème peut pourtant être résolu par la création de zones logistiques. À mon sens il s’agit avant tout d’un problème de culture. L’emploi du fleuve n’est pas aussi naturel qu’à Anvers par exemple. Il nous manque des outils promotionnels pour favoriser ce mode de transport. »
DES CHANGEMENTS DE PERSPECTIVE NECESSAIRES
Pour développer la compétitivité et la notoriété de l’axe Seine, les différents acteurs de la table ronde ont avancé quelques pistes de réflexion.
• L’atout environnemental
D’abord, au niveau de la compétitivité, Didier Léandri a martelé qu’il était fondamental « d’intégrer les coûts environnementaux aux analyses tarifaires. Entre le fleuve et la route, l’émission de CO2est divisée par quatre ». À ce sujet, Bernard Piette, Directeur général de Logistics in Wallonie a tenu à préciser que les grands ports européens menaient des politiques fortes pour limiter le transport routier. Ainsi, à Rotterdam, « 65% des marchandises sont tenues de quitter le port autrement que par la route sous peine de pénalité ». Et le succès est là puisque le plus grand port d’Europe estime que son trafic passera de 12 millions de containers actuellement à 28 millions à l’horizon 2030. La question environnementale est d’ailleurs restée présente en filigrane tout au long du colloque. Chez Bolloré, Laurent Foloppe indiquait à ce titre que les industriels étaient désormais attentifs à leur empreinte carbone : « aujourd’hui, lorsque nous répondons à un appel d’offres pour LVMH par exemple, le premier tour de négociation ne concerne ni le service, ni le prix, mais les solutions proposées pour limiter l’empreinte carbone. Si nous ne passons pas ce tour, les négociations s’arrêtent aussitôt. »
• Une nouvelle communication
De manière presque surprenante, le sujet du marketing s’est également invité dans les débats. Bernard Piette venu présenter la façon dont fonctionnaient les ports wallons a lancé le débat avec franchise : « il faut arrêter de promouvoir l’infrastructure ! Nous avons fait la même erreur en Wallonie. Les clients se fichent de connaître la façon dont nous fonctionnons. Ils veulent savoir ce que nous offrons comme service et quel est le coût logistique global. Autrement dit, il faut inciter les clients à utiliser nos services, car ils sont moins chers. Ce qui compte, c’est la dernière ligne du tableau Excel, celle du total. », a-t-il indiqué.
La mise en place d’un guichet unique, permettant au client de n’avoir qu’un interlocuteur pour traiter sa marchandise d’un point A à un point B renforcera justement l’offre de service. « J’espère que dans deux ou trois ans nous disposerons du même système d’information fluvial que celui qui existe actuellement sur le Rhin. Il est déjà en service là-bas alors que trois pays sont concernés tandis que sur la Seine nous n’avons pas encore commencé à y travailler », ajoutait Marc Papinutti, Directeur général de Voies navigables de France (VNF). « Il y a quelques années, il n’aurait pas été imaginable de rassembler autant d’acteurs de la supply chain autour de la même table. L’économie bleue représente aujourd’hui un enjeu majeur pour notre pays : , la députée qui a conduit une mission parlementaire visant à renforcer l’attractivité et la compétitivité des places portuaires de l’Axe Seine avec Charles Revet. Reconnaissant que « le secteur portuaire n’avait jamais été une priorité nationale, et ce, malgré notre positionnement géographique », le rapport des deux parlementaires remis au gouvernement en juillet dernier a abouti à la formulation de 33 propositions. Trois axes structurent leurs recommandations. Le premier est celui d’une simplification « qui est au coeur de la compétitivité. La complexité bureaucratique qu’entraîne une escale portuaire en France nous montre que cet élément n’a pas encore été pris en compte à sa juste mesure ». Le second s’articule autour de la convergence et de la coopération : « le secteur portuaire doit pouvoir développer une stratégie à l’export commune et partager des données communes. Nous n’utilisions pas les outils à notre disposition, et notamment l’agence Business France. » . Enfin le troisième axe porte sur l’infrastructure et la nouvelle échelle à adopter en terme de perspective et de gouvernance. Elle a rappelé que certaines infrastructures d’intérêt national devaient être développées, malgré les réticences locales.
LE DEVELOPPEMENT TOURISTIQUE, L’AUTRE PRIORITE
Après ces réflexions sur l’économie du transport fluvial, l’après-midi était consacrée à l’autre enjeu majeur du développement fluvial : le tourisme. Pour en débattre, le colloque avait invité les représentants de plusieurs métropoles ayant réussi à se réapproprier leur fleuve. « Le fleuve est l’âme d’une ville, c’est lui qui explique son histoire et son parcours. Lorsqu’un fleuve ne va pas bien, sa ville ne peut aller mieux », a ainsi raconté Stephan Delaux. Adjoint au Maire de Bordeaux, il est à l’origine de « La fête du fleuve » et de la reconquête de la Garonne par les Bordelais. Sur la Loire, les exemples d’Orléans et de Nantes ont également été détaillés. Ces deux villes fluviales ont reconstruit leur identité en prenant leur fleuve comme point central. « À Orléans, les berges de la Loire étaient devenues un parking, toute activité avait disparu depuis 30 ans. En 2001, nous avons voulu retrouver notre fleuve et nous avons lancé le “Festival de Loire”. Depuis, sa popularité a dépassé celles des fêtes johanniques », a détaillé Yves Dupont, en charge du festival à la Ville d’Orléans.
En plus d’être un vecteur d’identité et d’être un rendez-vous populaire, ces manifestations engendrent des retombées économiques. S’il est toujours malaisé de les chiffrer avec précisions, à Orléans « cet événement représente 20% du chiffre d’affaires des commerçants pendant les cinq jours du festival. De même, sur les 650.000 spectateurs, 120.000 empruntent les transports en commun », précisait Yves Dupont. Si les subventions de ces événements restent relativement importantes, cette fête « fait vivre le bassin de population ».
Cet engouement immédiat des citoyens vis-à-vis de leur fleuve, Rouen l’a expérimenté il y a trente ans. « En 1986, 12 multicoques se sont amarrés sur les quais. C’était le début de l’Armada », a lancé Patrick Herr. Depuis, chacun sait quel succès ses différentes éditions ont rencontré. La Seine s’est replacée au coeur du développement économicotouristique de la région. À tel point que le développement urbain de la ville suit désormais ses rives. Le développement du quartier Luciline au nord et de l’écoquartier Flaubert au sud en sont l’illustration la plus frappante. De même, les quais bas de la rive gauche sont devenus un lieu de rendez-vous incontournable pour les Rouennais, quelques mois à peine après leur aménagement. « L’appel à projets “réinventer la Seine” concerne 10 sites près de Rouen. La puissance politique publique indique au secteur privé que la volonté politique de mener des projets est présente. Certains projets n’auront même qu’une vocation de loisir et ne seront destinés qu’à proposer un nouvel outil touristique sur le fleuve. », précisait Laurent Bonnaterre, chargé de la promotion du territoire à la Métropole de Rouen. Dans le cadre touristique, la dimension de l’axe Seine est une échelle pertinente pour Jean-François Bures, vice-président du Département de Seine-Maritime. « Les départements de Seine-Maritime, de l’Eure, du Val d’Oise, des Yvelines et des Hauts-de-Seine se sont justement réunis en association pour travailler ensemble. L’idée est de gommer les frontières et de mutualiser nos forces. » Mais l’Armada, si elle reste le navire amiral des manifestations fluviales ne suffit plus. « Aujourd’hui il faut trouver les nouvelles modalités qui permettent, entre deux armadas, que la vie des habitants soit axée autour de la Seine », a enfin glissé Laurent Bonnaterre.
En réponse, Jean Furet Président de l’association Normandie en Seine, annonçait la création d’une manifestation sur les rives de la Seine les 23, 24 et 25 juin 2017 en affirmant que « la réussite des animations de fleuve passe par une implication forte des pouvoirs politiques, des infrastructures adaptées et une harmonisation des initiatives individuelles. »
« La puissance politique publique indique au secteur privé que la volonté politique de mener des projets est présente. » Laurent Bonnaterre, Métropole Rouen Normandie « Rien ne sera plus comme avant. Les fleuves sont un enjeu national pour l’avenir de notre pays. » Jean Furet, Président de l’association Normandie en Seine/
La conclusion de la journée revenait à Jean-Baptiste Gastinne vice-président de la Région Normandie qui réunit dans son portefeuille le développement économique, l’emploi et le tourisme « Le développement à la fois économique et touristique de la Seine ne va pas nécessairement de soi. Il faut réconcilier la logistique avec le tourisme de même que l’industrie et l’environnement. Ce chantier doit être conduit, mais il sera long. Il s’agit d’un travail sur une génération ».